Des records, et après ?
Il y a de cela quelques mois, nous déclarions dans ces colonnes notre colère envers ce que nous estimions être un manque de reconnaissance envers notre sport, l’athlétisme. Brut, emporté, écrit d’une traite sous le coup de l’agacement du moment, ce “manifeste” avait eu le mérite de susciter le débat, notamment sur la place attribuée à notre sport dans les médias, dans l’éducation mais aussi dans une plus large mesure dans la société française. Plusieurs sujets y étaient abordés, par exemple la nouvelle prime donnée à la distance sur la performance, point qui avait pu susciter particulièrement la colère chez certains, nous accusant d’élitisme. Nous le répétons aujourd’hui, nous ne voulons en aucun cas placer un sport ou une discipline au-dessus d’un ou d’une autre. Nous affirmons simplement que certains sportifs, notamment en athlétisme, mériteraient aujourd’hui plus d’attention et plus de moyens si nous ne voulons pas que notre pays paraisse ridicule lors des Jeux Olympiques que nous organisons dans maintenant moins de six ans.
Mayer : un record qui arrange tout le monde
Vous l’aurez compris, nous faisons référence ici à l’interview de notre décathlonien champion du monde et recordman du monde Kevin Mayer diffusée ce matin sur France Inter. Nous espérons qu’il sera entendu. Plus tôt cet été, après le sacre des Bleus en Russie, la journaliste Nathalie Iannetta avait elle aussi soulevé des inquiétudes similaires à celles de Mayer quant à la politique suivie par notre pays en termes de sport. Nous voudrions nous aussi, en tant qu’athlètes, en tant que passionnés mais surtout en tant que citoyens attirer la lumière sur la situation critique de notre pays sur le plan sportif. Vous nous direz : “Mais de quoi vous plaigniez-vous ? Regardez les résultats que nous avons eu récemment : champions du monde de foot, Pierre-Ambroise Bosse champion du monde, Mayer recordman du monde et Lavillenie toujours indétrônable !”. Nous vous répondrons que ces sportifs sont autant d’arbres cachant une forêt qui est loin de bien se porter. Les performances de ces sportifs, exceptionnelles, sont, malheureusement, des coups de chance compte tenu des structures sportives et de l’éducation sportive apportée en France. Nous choisirons volontairement ici d’écarter le sujet du football, qui bénéficie d’institutions, d’investissements privés, et d’une aura qui lui offrent une place à part dans le paysage sportif français. En tant que page d’athlétisme, nous prendrons le parti pris de nous concentrer essentiellement sur notre discipline, mais sachez que nous portons le même message pour tous les autres sports. “Mayer : un record qui arrange tout le monde”, cette phrase se veut volontairement polémique. Ce record, stratosphérique, nous, il nous donne des étoiles dans les yeux, il nous procure le frisson, il nous fait rêver. Pour d’autres, il est le passe-droit pour continuer à mener une politique sportive désolante de vétusté et de médiocrité. En effet, pourquoi investir plus dans un domaine où nous arrivons déjà à avoir des records du monde ? La vérité, c’est que quand certains pays réussissent à avoir des titres à presque chaque compétition internationale (NDLR : nous pensons évidemment aux Etats-Unis mais nous pourrions en citer d’autres comme l’Allemagne), nous en sommes réduits à des exploits isolés, de la part d’extra-terrestres, de surhommes, d’athlètes que nous ne verrons qu’une fois par génération voire par siècle si nous ne changeons rien. Dans le contexte français, où le sport n’est ni vraiment promu, ni vraiment considéré comme un enjeu social majeur, ces victoires demeureront des anomalies, au sens où nous n’arrivons pas à générer une continuité.
Protéger le talent
Il y a un an, juste après avoir obtenu l’organisation des JO en France, le budget du ministère des sports avait baissé de 7%. Cette année, il diminuera à nouveau de 30 millions d’euros, s’établissant à 450 millions d’euros (NDLR : pour vous donner une idée, ça fait à peine plus de deux Neymar). Kevin Mayer, s’en est ému ce matin, déclarant “J’ai toujours eu l’impression qu’on voulait des grands sportifs mais qu’on ne s’en donnait pas les moyens”. On ne peut que lui donner raison. Pour ceux d’entre vous qui s’entraînent en club, vous avez pu constater la baisse constante du nombre de bénévoles, entraîneurs, et leur inéluctable vieillissement, sans véritable successeur désigné, vous avez pu constater parfois des infrastructures vétustes, un manque de matériel, un manque d’espace pour s’adonner à la pratique sportive… Autant de freins, non seulement à la performance mais aussi à la pratique pure et simple du sport. Quand on connaît les problèmes de santé publique auxquels est confrontée la population française : sédentarité, obésité, autant de maux qui pourraient à termes réduire l’espérance de vie, nous nous étonnons que le budget des sports diminue puisqu’il se répercutera inéluctablement par une hausse du budget de la santé. S’il ne s’agit que d’un problème financier, cette stratégie ne tient pas, elle revient à mettre les problèmes sous le tapis et les voir ressurgir plus tard.Vous nous demanderez : pourquoi investir dans le sport ? Car il génère énormément d’externalités positives. D’un point de vue économique, vous créez des emplois d’éducateurs, de coachs sportifs, de jardiniers, d’agents d’entretien, d’athlètes, de médecins, de kinésithérapeutes, de vendeurs, de manufacturiers d’articles sportifs. Vous générez des revenus en promouvant la pratique mais aussi la performance. D’un point de vue social : vous favorisez la diffusion de valeurs, du vivre-ensemble, du collectif, des valeurs d’effort, de travail, d’abnégation. Le sport rassemble et crée du lien social, il éduque, apaise et canalise. Il est aussi un vecteur d’opportunités pour certains. Dans la situation actuelle, Kevin Mayer l’a rappelé ce matin, bientôt seuls les sportifs qui auront déjà eu des résultats auront les moyens de se payer un entraineur. Et les autres ? Beaucoup de nos champions ne viennent pas des milieux les plus aisés. Aujourd’hui beaucoup de jeunes athlètes sont amenés à faire le choix entre leurs études et leur carrière professionnelle ou leur enseignement scolaire. Comme il n’y a pas assez de structures et que le sport n’est pas mis en avant dans notre société ou dans les parcours éducatifs, nous passons à côté de grands talents, qui n’ont tout simplement pas le temps ou les moyens de s’entraîner. Il est anormal qu’en études supérieures, un jeune doive faire le choix entre sa pratique sportive et sa carrière. Il est inutile de le rappeler, mais aux Etats-Unis certains peuvent suivre un parcours universitaire justement parce qu’ils excellent dans leur discipline sportive. Posons-nous les bonnes questions : pourquoi autant de nos jeunes talents s’exilent dans des universités outre-Atlantique ? Pourquoi parle-t-on si peu du sport universitaire, pourquoi est-il si anonymisé, avec un niveau si en-deça de ce qu’il devrait être ? Le point de départ est pourtant là, dans les écoles. Si vous voulez une société sportive, si vous voulez des champions, si vous voulez des médailles en 2024, ça part de là. Le vivier existe, il faut maintenant l’exploiter, donner les moyens et le temps aux jeunes pour éclore. Le talent doit être protégé.
Que faire ?
Alors que faire ? Car au delà de nous plaindre du manque d’attention et du manque de moyens accordé au sport, il nous faut aussi être force de proposition. Plusieurs chantiers doivent être entamés. Donner les moyens aux clubs, aux associations c’est d’abord arrêter de restreindre le budget du ministère des Sports. C’est aussi investir dans des structures, des stades, des piscines, des terrains, qui encouragent la pratique. Donner les moyens aux éducateurs, c’est permettre leur renouvellement. C’est arrêter de croire que tout fonctionnera grâce aux bénévoles. Il faut penser à récompenser ces gens, qui donnent énormément de leur temps, qui sous la pluie iront tenir un chrono pour permettre à des jeunes de poursuivre leur entraînement. C’est un service civique qu’il faut féliciter, pas seulement par une poignée de main et jambon beurre offert le midi d’une compétition. Si la rémunération financière irait à l’encontre du désintéressement qui caractérise le bénévole, une compensation en relation au temps passé par celui-ci sur les terrains de sport par ce dernier (par exemple en lui permettant de gagner des années de retraite ?) pourrait être envisagée. Aujourd’hui on le constate, de moins en moins de personnes ont le temps de s’adonner à l’encadrement sportif, il faudrait donc aussi songer à donner les moyens aux clubs de recruter des entraîneurs, des encadrants, des emplois à temps plein, salariés, qui permettent la survie de ces associations. Qu’on ne nous dise pas qu’ils ne trouveraient personne, les facultés de sport sont remplies de personnes motivées. Le dernier point, serait d’inscrire réellement et durablement le sport dans la culture nationale. En tant que pratique quotidienne, pour ses vertus de santé publique, de lien social, mais aussi en tant que recherche de performances, en apportant le temps et les moyens à ceux qui peuvent briller sous l’étendard bleu blanc rouge lors des compétitions internationales, sans les mettre face à un choix cornélien entre le sport et leur carrière. Ils doivent pouvoir en vivre, ils doivent pouvoir être détachés et fructifier leur talent pour faire rayonner la France sur la scène sportive mondiale.
Si vous pensez que cette situation doit changer : signez cette pétition http://cnosf.franceolympique.com/cnosf/